L’Hypothèse K. – Aurélien Barrau

Carnet de lecture pour L’Hypothèse K. – Aurélien Barrau

Un mot : Fataliste.

le second livre d’Aurélien Barrau dédié à la catastrophe écologique après « Le Plus Grand Défi de l’histoire de l’humanité ». Si ce dernier était factuel, direct et grave, « L’hypothèse K. » prend à bras le corps la responsabilité de la science dans cette catastrophe inéluctable, avec toute la crédibilité imposée par l’éminence scientifique de son auteur.

Le constat d’Aurélien Barrau est dur : la science a une grande part de responsabilité dans ce qui arrive, et malheureusement, on ne peut (on ne doit) pas attendre d’elle qu’elle apporte des solutions.

Un portrait sombre de l’utilisation faite aujourd’hui des « avancées » de la science. La vacuité et l’inutilité de l’IA générative en est un excellent exemple :

Un compte rendu de consultation ou un chapitre de thèse écrit par ChatGPT, à partir de mots-clés livrés par le médecin ou la chercheuse, violent le pacte fondamental de l’idiome. La douce et anxieuse exégèse d’un texte – même le plus futile ou le plus trivial – repose sur la promesse non dite de ce que chaque lettre, chaque mot, chaque forme grammaticale doit pouvoir, en principe, livrer quelque chose de l’auteur ou de la locutrice et de leurs propres arborescences symboliques. Il y a toujours palimpseste. Lire un texte écrit par une intelligence artificielle revient à faire l’amour avec une poupée gonflable. Tout y est… sauf l’amour. Plus qu’insipides, ces perspectives déliquescentes dévoilent nos dépendances nécro-techno-philes. Le dénoncer relève de la plus extrême urgence mais la tâche ne saurait échoir ni à la science ni à ses mandataires ou à ses ambassadrices.

Étant donné que le fonctionnement de ChatGPT est, par ailleurs, fondé sur la complétion probabiliste des phrases à partir des motifs appris dans les textes intégrés ou ingérés – sans que le concept de vérité soit jamais invité dans le processus -, c’est également la référence au réel qui est perdue. Il s’agit donc d’une double déréférentialisation : perte du lien avec le monde et perte du lien avec l’écrivain ou l’oratrice. Double trahison des deux piliers de la langue, des deux promesses dialectales élémentaires.

L’auteur n’hésite pas à comparer la fuite en avant technophile à un cancer, un carcinome, « l’hypothèse K. » et s’avoue pessimiste, fataliste, voire vaincu, face à ce constat.

D’abord, il pourrait être question, pour les scientifiques, de trahir. Non pas, bien sûr, de trahir les paroles données ou les amours promises. Moins encore l’honnêteté à laquelle ils et elles ont fait allégeance. Rien ne serait plus triste et plus vil. Il s’agirait plutôt de trahir les pratiques héritées et les suivismes implicites. C’est difficile de trahir: on quitte bien plus que sa zone de confort, on abandonne son monde de domination. On perd ses affidés d’antan en demeurant suspect aux yeux de ses alliés à venir.

Un texte superbe, pour un constat mélancolique, déprimant, mais certainement incontestable.

7/10

Terminus – Tom Sweterlitsch

Carnet de lecture pour Terminus – Tom Sweterlitsch

Un mot : Confus.

Un mélange brouillon entre un polar et un roman de SF, qui ne brille ni dans l’un ni dans l’autre.

L’enquête policière n’est pas intéressante. Violences gratuites, surenchère de gore. On comprend mal l’empathie, l’intérêt, voire l’obstination de l’enquêtrice.

Des passages sentimentaux qui ne servent ni l’histoire, ni la construction du personnage.

La partie SF présente un intérêt : le voyage dans le temps est bien construit, avec les lignes temporelles qui ne peuvent que se projeter dans le futur, et sans conséquence sur le passé. Mais cette « facilité » pousse l’auteur à en abuser : on sent qu’il tente néanmoins de générer des paradoxes temporels pour perdre le lecteur, avec des personnages qui se dédoublent, changent de personnalité. Le twist facile.

Termes scientifiques employés à tort et à travers pour faire pompeux, et qui nuisent finalement à la crédibilité (mousse quantique, ligne de casimir, etc.)

Des choix (erreurs ?) de style difficile à comprendre : pourquoi le passage à la première personne en plein milieu du livre, puis un retour à la troisième ensuite ?

Des références évidentes à Twin Peaks : le parc régional Blackwater avec ses lodges, ses sapins, ses meurtres, et surtout son lieu de passage spatio-temporel façon black lodge, mais bon… N’est pas David Lynch qui veut.

Résolution des paradoxes temporels à la « armée des 12 singes », mais de manière peu originale et attendue dans le twist final.

Fin un peu mièvre.

Étonnamment, je lui ai mis 4/10 mais j’ai eu envie d’aller au bout, et j’ai trouvé qu’il y avait de bonnes idées… Mais c’est un brouillon mal exploité, un peu gâché.

Dans la dèche à Paris et à Londres – George Orwell

Un mot : Factuel.

Plus un journal qu’un roman. Style très cru, factuel.

L’expérience brute de la pauvreté et de la déchéance. Toujours plus bas, quelle que soit les choix, quel que soit le lieu, à Paris ou Londres.

Des détails sordides de la misère mais terriblement réalistes. Le quotidien des clochards, qui ne doit pas être si loin de la réalité d’aujourd’hui.

Triste fatalité de ceux qui ne pourront jamais s’en sortir, même avec la meilleure volonté. L’acceptation de la détresse, de la dèche. Comment s’accommoder, s’habituer aux conditions les plus crasses. Comment l’humain cherche et trouve toujours un fragment d’espoir et de réconfort, aussi dérisoire soit-il. La solidarité qui peut naitre de cette misère, mais qui contribue à l’acceptation de la condition.

L’exploitation du patronat pour grapiller toujours plus sur le dos des employés exploités, ceux qui n’ont pas d’autre choix. L’arnaque et les petites magouilles à tous les niveaux. On oublie qu’on est exploités dès lors qu’on peut soi-même en exploiter d’autres.

Orwell imparable, indispensable.

8/10